"L'apparence n'est rien, c'est au fond du coeur qu'est la plaie" Euripide

jeudi 9 mai 2013

La noblesse de l'échec



Pas ou peu d'étoiles ce soir, l'espoir, comme le coeur, en bandoulière, et quatre whisky-coca qui virevoltent allègrement dans mes veines. C'est ce qu'il faut pour garder le cap parfois, quand certains démons du passé retrouvent nos traces alors qu'on était persuadés d'être bien cachés. Je pensais être partie depuis assez longtemps et assez loin, après tout ça faisait deux ans. Deux ans c'est long, il s'en est passées des choses depuis. Je garde bien à l'esprit qu'à l'époque j'étais jeune, trop jeune pour voir fleurir les chrysanthèmes sur une tombe que je n'étais pas prête à creuser. 
J'ai commencé petite, je suis pour ainsi dire née à cheval. Bien avant l'alcool j'ai très vite été entrainée par l'ivresse de l'équitation. Sans savoir que pas à pas je dressais mon chemin de croix parmi des âmes esseulées, fuyantes. Dans la relation à l'animal j'ai trouvé du confort et de la paix pour mon esprit désillusionné par la manière dont se tissent les relations humaines. C'est vrai qu'on a été tellement déçus, nous qui attendions tant de la vie. On s'est vite rendu compte de beaucoup de choses, de comment les gens étaient des chiens hypocrites qui ouvraient rarement les bras par exemple. Je ne sais pas pour les autres, mais je me rappelle que j'ai beaucoup cherché, tenté de trouver une issue dans les impasses ou je me trouvais, mais c'était impossible; parce que personne ne pouvait comprendre. Tant de fois j'ai cru que je ne serais jamais bien que là haut, sur le dos de mon cheval, au grand galop dans les champs ou sur un terrain de pony-games, fous de liberté qu'on était. On arrivait plus à se satisfaire de rien, et pendant des années on a continué comme ça, à plein régime. 
Au final, j'ai conscience que rien ne m'a fait autant souffrir que ce que je considérais comme mon salut. Les chevaux, ces animaux imprévisibles, fragiles comme un souffle, ces putes. Je traine mes chimères à ma cheville, autrefois miracles, aujourd'hui cauchemar. J'ai vu se détruire des paradis sous mes yeux. J'ai gravi des montagnes pour les redescendre en totale chute libre. J'ai échoué durement, puis j'ai baissé les bras. Quand on m'a retiré les chevaux, non seulement j'ai arrêté de marcher droit mais je n'ai plus marché tout court, car mon coeur était trop lourd sans aide pour le porter. Il m'a fallu deux ans pou m'en remettre. Aujourd'hui cela me pèse encore. Isidore, Kiss et Kelly, autant de plaies qui ne sont pas pansées et encore moins pensées, à cause ou grâce au temps qui coule dessus lentement. C'est très difficile d'assumer l'échec, encore plus de voir disparaître nos compagnons d'aventures. C'est certains qu'ils pèsent bien plus lourd dans mon coeur que dans le camion de l’équarrisseur, recouverts par une bâche pour ne pas choquer les enfants, les yeux éteints et le regard torve, les membres raides, un filet de sang s'écoulant de la bouche et des naseaux. Comment s'en remettre quand on a rien d'autre? Jai choisi de faire comme si rien n'avait jamais existé et je considère encore que c'était la meilleure chose à faire. Puisque les Hommes ne sont que des bons à rien, et que les chevaux sont trop faillibles face à la vie. 
Voilà quelques mois que tout revient à moi par bribes, alors que j'avais bien pris soin d'effacer mes souvenirs les plus durs. La mort de Kelly a marqué pour moi la fin d'une époque, la fin d'un monde dont je n'étais plus prète à tenir les murs en attendant qu'ils s'effondrent sur moi. Peut-être ya t-il une certaine noblesse à échouer, parce que pour ça, encore faut-il lacher prise. J'ai laché quinze ans de ma vie en un instant, sur un coup de fil, parce qu'en quelques minutes, la vie qui me raccrochait à l'espoir s'est éteinte, et je me suis retrouvée perdue dans l'obscurité, sans lanterne ni repères, puisque je n'avais rien ni personne. J'ai trébuché entre temps. J'ai du reconstruire un monde autour de moi. Mais il est difficile de revenir en arrière, de se refaire l'accéléré des événements. Kelly est morte et j'ai assisté à ça les bras ballants, sans me battre parce que j'étais malade à l'idée de la perdre. Dans ma fuite à l'annonce du décès j'ai perdu les personnes qui m'étaient les plus chères, qui aujourd'hui sans doute tressaillent juste en entendant mon nom. Aucune ne m'a rappelée. J'ai pété les plombs et j'ai pris peur. Je n'ai jamais réussi à pardonner au chevaux. 
L'espoir est revenu, mais jamais la passion. Le savoir est resté, mais il ne vaut rien sans motivation. Avec les enfants, j'ai repris gout à vivre et je m'éveille lentement, je réapprend les hommes et aujourd'hui, c'est moi la "monitrice", celle au milieu de la carrière, qu'à mon époque on respectait tellement. Pourquoi j'ai accepté ce poste ? Les frayeurs me reviennent lentement. Kelly et Isidore galopent sans cesse dans mon esprit et ne me permettent plus de répit. Il parait qu'un jour on sera guéri complètement. Il parait. 



Petit Prince


Ma plus merveilleuse déception, mon plus magnifique échec







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