"L'apparence n'est rien, c'est au fond du coeur qu'est la plaie" Euripide

lundi 19 novembre 2012

Les moutons





13h30, j'ouvre les yeux péniblement, il fait déjà jour et je ne suis toujours pas morte. Merde. Je regarde autour de moi, l'appartement est un capharnaüm. Je me lève, je donne des coups de pieds dans quelques objets sur mon passage, j'allume la lumière, réveillant du même coup les deux rats dans leur cage et l'être humain dans mon lit. Ils clignent tous trois des yeux, l'air perdu.

L'être humain: -Bonjour mon ange.
-Hm.
-T'as bien dormi?
-Ah ça suffit tes agressions dés le matin hein! Bordel.
-T'es complètement cinglée Gabrielle.
-Ta gueule.
-...
-Aujourd'hui on va faire de grandes choses! On va devenir des gens socialement respectables. On va affronter le vaste monde extérieur, voir des gens, des Vrais gens ! Il était temps, on est vendredi. Bouge ton cul. Au fait ya rien à manger pour le petit-dej.
-OK.
-On va aller à Nanterre.
-Ah. OK.
-Tu peut t'occuper du médicament de Noé s'il te plait? Je me prépare et on y va.

Vingt minutes après, le médicament de Noé n'était toujours pas prêt, on est partis quand même avec le-dit Noé sous le coude. J'avais mis mes chaussures de pute en cuir rouge à talons de 10 cm, un pull à paillettes et deux écharpes. Ca me mettais d'attaque pour affronter le monde extérieur, d'avoir l'impression de m'y être un peu préparée, même si les chaussures de putes n'étaient pas tellement homologuées au final mais ça je ne pouvais pas le savoir.

On a pris le train jusqu'à la Défense puis le RER A jusqu'à Nanterre et c'est là que j'ai commencé à comprendre dans quoi je m'étais embarqué quand j'ai réalisé que la station de RER donnait directement sur le campus et qu'en fait elle était même là pour ça. Ca m'a donné une petite idée du massacre de voir autant d'étudiants massés sur le quai, prêts à pousser celui d'à côté sur les rails pour monter plus vite dans le train. Des moutons qui s'échappaient de l'abbatoir, voilà ce qu'on a du traverser pour arriver sur le campus, Noé, E. et moi. Un sacré bordel.

On est arrivés indemnes et sans perte civile à l'université. Elle se présente comme un terrain recouvert de pelouse à perte de vue, surplombé d'un grand batiment alphabétiquement classé tous les 200 mètres, aux murs recouverts d'affiches communistes mignonnes et désuettes. "Salauds de gauchistes", on a laché en coeur avec E. parce que c'est plus une question d'habitude qu'autre chose et qu'on aime bien être en contradiction avec tout et tout le temps.

E. a voulu voir quel cours il avait, plus par curiosité que par tentative de se donner bonne conscience. Je l'ai suivi jusqu'à son amphithéatre, par curiosité également. Dans la théorie on aurait du passer innaperçus mais dans la pratique, en nous voyant entrer, la prof s'est interrompue dans sa phrase.
"Je vais faire une pause quelques instants puisque deux jeunes gens nous ont rejoints et ils n'ont pas du tout l'air de savoir ce qu'ils font là."

Et merde, démasqués.

Tout l'amphi se retourne pour nous fixer, ce qui au final ne faisait pas tant que ça parce qu'au mois de novembre on ne peut pas s'attendre à ce que tous les sièges soient pris en pleine après-midi, mais c'était génant quand même. Moi, juchée que j'étais sur mes talons de pute, je tente un repli stratégique afin de m'enfuir de cette salle pleine de monde ayant notifié ma présence dont je n'avais foutrement rien à carrer. Evidemment à l'inverse E. était parti s'asseoir dans l'amphi pour se renseigner sur la nature du cours en question. Naturellement, le mec à côté de qui il avait posé son cul n'était pas plus au courant que lui, occupé qu'il était à jouer sur son iPad.
Il aurait pas eu mon rat que peut-être je l'aurais laissé tout seul tellement ça m'effrayait tous ces gens qui me regardaient, mais il l'avait. J'ai pris mon courage à deux mainsj'ai fini par le trainer au dehors en maugréant "mais viens, putain, on s'en bat les couilles de ce cours, fais pas genre ça t'intéresse". Je me suis dit que de toute manière pour qu'on s'arrête pendant plusieurs minutes sur notre arrivée dans la salle ça ne devait pas être un cours passionant.

On a rejoint Minou qui séchait son amphi de sociologie, P. qui sortait de la B.U. ou ils prètent des Mac Book Pro en libre service alors qu'il n'y a ni papier toilette, ni lumière dans les chiottes, et M. qui sortait d'un rattrapage. On a fumé des joints sur la pelouse, dessiné des bites sur les bancs et j'ai appris une nouvelle formidable : il y a une ferme à Nanterre avec des moutons et même peut-être un ane. Sauf qu'on savait pas trop ou elle était. J'ai mis E. dans le coup et il a promis de m'y emmener, les autres sont partis vaquer à leurs occupations et on s'est retrouvé à déambuler sur le campus en demandant au personnel d'entretien ou se trouver la ferme.

On s'est retrouvés dans un espèce de cirque désafecté à la recherche d'un certain Roger qui était sensé nous montrer les moutons, bref encore un sacré bordel. Il y avait deux ou trois grands chapitaux, un parc à oiseaux, une roulotte aménagée qui servait de chiottes mais pas de moutons... Ca a fini par nous gonfler cette histoire surtout que j'avais très mal aux pieds à cause de mes chaussures de pute et on s'est assis dans un ancien squatt entouré de murs en pierres taggués de bas en haut à fumer notre dernier joint.

Un homme d'une soixantaine d'année est passé, il avait un bonnet rastafari, deux trous à chaque oreille et il marchait en sandales, alors que merde, on était en novembre. Sur le coup je me suis dit que c'était probablement la personne la plus intéressante que j'avais vu de la journée. Et qu'en fait des moutons, j'en avais vu, et d'ailleurs pas mal depuis mon arrivée en RER A. Qui a besoin d'une ferme quand la fac en est une à elle toute seule ? Et si pour valider une de leur matière aux examens on demandait aux élèves d'aller brouter le gazon dehors, la plupart le ferait. Après les gens me demandent ce qui m'intéressent tant chez les animaux, mais ils devraient se regarder dans un miroir, ça les fascinerait aussi.

Mon téléphone a sonné.

-Allo Gab?

Et merde c'était le dealos.

-En fait je t'explique là je rentre de Nanterre avec E., on a vu Minou puis on a cherché les moutons mais on les a pas trouvé et maintenant j'ai mal aux pieds. Passe vers 21 heures, bisous.

Ca l'a fait marré, j'ai raccroché.


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