"L'apparence n'est rien, c'est au fond du coeur qu'est la plaie" Euripide

samedi 5 mai 2012

Aire libre




J'ai 18 ans. Et en écrivant ces mots, je me souviens. 

L'an dernier, mon anniversaire avais gout de fracas, au son du meurtre de la meilleure amie de ma mère, du tourbillon science-pallien dans lequel je m'étais engouffré sans trop savoir comment et des rendez-vous psychiatriques qui commencaient. J'avais 17 ans, et je voyais là le dernier anniversaire de ma vie. Oui c'est une enfant qui parle, une gosse qui ne sait pas, qui n'a pas vécu. Un déménagement, une maladie, une rupture et c'est la fin. Mais les adultes ne mesurent les pertes qu'en choses matérielles. Je n'ai jamais été sans toit, j'ai recouvré la santé et des amours, j'en ai eu d'autres. 
Mais là, je vous parle à coeur ouvert, je vous parle d'une souffrance qui ne se mesure pas en euros, ni en années, ni en larmes. Un mal qui vient du fond de l'être, qui déploie des tentacules dans l'âme entière, qui la broie, la désintègre et la bousille. On peut parler de maladie, puisque j'ai vu des médecins. On peut parler de folie, puisque je ne contrôlais plus rien. On peut parler de crise d'ado aussi, puisque je n'étais-et ne suis- qu'une môme. Mais je ne parle pas dans le vide, je vous parle de ce que je sais, de ce dont je revient. Je vous parle de dépression, sans parler de "nerveuse" car ce n'est pas une affaire de nerfs qui lache; c'est bien pire. Quand on a peur de l'obscurité, tout devient noir. Une terreur absolue de l'abandon a étouffé mes amitiés les plus sincères. Des bouffées de panique m'ont contraint à tout détruire sur mon passage. Du rire aux larmes, lunatiques pour les uns, bipolaires pour les autres, et la sentence tombe : "vous souffrez de dépression majeure réactionnelle". 

Silence. Ah bon.

"On peut vous aider". J'aquiesce. 
C'est ce qu'on dit. 

Puis ras-le-bol. Les voix dans ma tête, le chaos total, une frénésie destructrice me guidait, je fumais et je buvais trop; j'essayais d'oublier, mais quoi? je ne savais même plus. J'était le boureau et la victime. Je ne pensais qu'au suicide, à la mort, à la douleur. Il n'y avait plus de place pour le pardon, le travail, la reconnaissance, il n'y avait plus de place pour rien. Avec mes ciseaux, je me dessinait les poignets quand sur des grandes feuilles blanches je tentais d'exorciser ma folie à coup de crayons. Tout était dans ma tête. Le désordre, le désequilibre, le "trouble mental". De tout ça, j'en suis revenue, j'en reviens encore, et je tente d'arriver parmi vous. De vous comprendre, d'apprendre et de vous apprendre, le peu que je sais. 

J'ai 18 ans. 
Je me souviens du reste. Des mains tendues qui tentaient de me tirer de mes errances, des appels à la raison, de la bienveillance. Des clopes et des sourires les jours de pluie. Je me souviens de tout. 
Ceux qui m'ont épaulé malgré mon mal de vivre, et sans m'appesantir sur le sujet je voudrais les remercier, ceux sans qui aujourd'hui, je ne sais pas ou j'en serai. J'ai eu la chance de connaitre beaucoup et souvent des personnes admirables et pleines d'humanité. J'ai été un calvaire qu'ils ont porté avec force. J'ouvre les yeux tous les jours sur tout l'amour dont j'ai bénéficié sans pouvoir le rendre. Ceci est un hommage, aux gens qui m'ont sauvés. 
Certains se reconnaitront, d'autres non, la liste est longue, des mères qui m'ont accueuillies chez elles aux amis qui m'ont soutenus, aux simples dialogues ou sourires, des rencontres qui ouvrent les yeux. 
De nouvelles personnes partagent ma vie aujourd'hui. Je guéris toujours. Je suis en paix et je souhaite à tous de la trouver un jour. Mes écrits sont jugés tristes, celui là se veut plein d'espoir. Il n'y a pas de honte à être aidé, tant que c'est dans le but de s'en sortir. Aujourd'hui, je compte vivre longtemps, assez longtemps pour remercier ceux qui m'ont aidé, assez longtemps pour aider ceux qui n'ont pas la chance d'avoir un entourage comme le mien. Je vais bien, et même si c'était mon combat, je vous doit beaucoup. 


Ici on veut tous voir nos cicatrices guérir. 

"Dépression : on n'a pas le droit d'utiliser ce terme sous n'importe quel prétexte. C'est lourd, ce mot, c'est sérieux. Parce qu'ils n'ont pas obtenus ce qu'ils convoitaient, parce qu'il pleuvait dehors ou qu'il faisait gris, ils ont dit qu'ils avaient la "déprime". Le mot et sa réalité recouvrent une autre tragédie, physique et psychique, un mystère, un mal, et ce mal, il est indispensable qu'on le traite, qu'on le soigne et, surtout, qu'on le dise, qu'on l'exprime. " P. Labro


1 commentaire:

  1. Je pense être dans les "dialogues ou sourires"...
    A vrai dire si j'avais pu j'aurais fait bien plus. Je t'aurais attrapée par le string et j'aurais dit "Allez viens ma poule, on va faire du tricot en buvant des tisanes au miel et en parlant de nos emmerdes !" Le problème c'est qu'à l'époque je ne regardais qu'une seule personne, ne vivais que pour une seule personne, je me fondais en cette personne car c'était plus facile d'exister à travers lui.
    Je comprends ton besoin de remercier, parce que je sais ce que de constater qu'on est pas seule, et qu'on a bien plus d'amour autour de nous qu'on ne le pense les matins où on se dit que ça sert à rien de se lever. Y'a des regards pleins d'amitié, d'envie que tu réussisses, des sourires pleins de compassion, de besoin de te rendre heureuse ; et des rires qui te font tout oublier un instant. Et quand ils sont absents, l'alcool les remplace, alors dieu qu'ils sont bons pour ma santé !
    J'aurais aimé avoir les pieds sur terre à cette époque et faire plus pour toi.
    En attendant je vais me cogner la tête contre les murs pour me rentrer de la philosophie dedans et retourner poser des questions à des peluches qui ne me répondent pas.
    <3

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