"L'apparence n'est rien, c'est au fond du coeur qu'est la plaie" Euripide

samedi 18 janvier 2014

Kilomètres



C'est un départ comme les autres. Il faut penser à tout un tas de trucs, prendre des sacs à vomis pour dans le car, vérifier les étiquettes sur les sacs à dos des enfants, regarder sous leurs lits et dans leurs armoires qu'ils n'aient rien laissé traîner, s'asseoir sur sa propre valise pour la boucler, sortir les draps dans le couloir et plier les couvertures, emmener des bouteilles d'eau et le goûter à prendre dans le train, dire "au revoir merci c'était sympa" au personnel qui était plus ou moins sympa, monter dans le car et essayer de s'endormir au plus vite pour ne pas penser à là ou on va se réveiller. Seulement cette fois la valise était un peu plus lourde que d'habitude, le trajet m'a paru un peu plus long et pénible que d'habitude et j'avais un peu plus de poussières dans les yeux en disant adieu aux enfants, des poussières qui coulent et qui strient les joues comme tous ces souvenirs dont on fait déjà partie pour eux. C'était une arrivée comme les autres, on descend du train dans une cohue pas possible, on recompte les gamins mille fois, on arrive à l'école, il fait déjà nuit et une foule de parents nous attendent prèts à happer leur progéniture, ceux qui nous disent merci comme si on avait sauvé le monde et ceux qui ne nous regardent même pas, ceux qui arrivent en retard et n'embrassent pas leurs enfants, ceux qui râlent... Mais tous ils partent bien vite, emmenant loin de nous leurs gosses sans compter nous les rendre un jour. On le sait pourtant à force que une fois que les enfants ont aperçus leur famille on ne fait plus partie que du passé, un passé très heureux, mais déjà fini et clôturé. Et puis tout ce qu'on a fait avant, les rires, les jeux, les cris, les longues marches, les histoires avant de s'endormir, en marge de l'atmosphère étouffante dans laquelle ils grandissent, tout ça se retrouve relégué au rang de photo sur un CD souvenir qu'on nous enverra par la poste, peut être, si ils y pensent. On le sait déjà avant tout ça, on est prévenu, c'est écrit sur le contrat. On a pas le droit d'être déçus, après tout, c'est des gamins.
Puis il y a les autres aussi, les adultes. Ceux avec qui tu te moque des enfants quand ils sont couchés, rigolant bien fort, sans pouvoir s'en empêcher, ceux qui t'apprennent pleins de choses de fil en aiguille, qui te prennent sous leurs ailes et te guident pour t'aider à avancer plus loin, plus longtemps, ceux qui te serrent dans tes bras quand tu te sens seul parmi tous ces gosses. Dans le monde des grands j'ai jamais trouvé beaucoup de gens qui en vaillent la peine, mais il y a ceux là qui t'aiment sans contrepartie, entier, vivant, avec qui tu regardes les étoiles la nuit sur les balcons de toute la France, et avec qui tu voudrais vivre encore et toujours sans jamais que ça s'arrête parce que l'équilibre est fragile mais parfait. Ces personnes avec qui tu vis peu de temps mais tellement plus fort qu'avec tous les gens que tu as pu connaitre avant. A qui tu ouvres ton âme sans même y prendre garde, ceux qui t'aident à grandir. Et comme les enfants, il faut s'en séparer, car nos routes diffèrent. En acceptant ça tu as parfois l'impression de t'enfoncer des bouts de verre dans le coeur. Des kilomètres de rires qui s'évanouissent dans le fracas de rapides adieux amers.
C'est un départ qui brise un peu, qui fracasse. Les sentiments qui se tordent soudain et puis des larmes pas attendues, pas prévues au programme mais qui sont là quand même. Alors on leur fait une place. On essaie d'accueillir la tristesse correctement puisque de toute manière elle est là. On sait que ça ira mieux, dans quelques jours, quelques semaines. Que d'autres enfants viendront remplacer ceux du précédent groupe puis que petit à petit leur prénoms s'effaceront pour laisser place à de nouveaux. D'autres lieux s'imposeront à nous, d'autres montagnes, d'autres vallées, d'autres centres, toujours entre deux escales à Paris, ou l'on rencontrera d'autres collègues, d'autres adultes... Clope au bec au sommet d'une montagne, se raconter des histoires avec un de mes formidables amis à durée éphémère. J'aime la vie, c'est elle qui m'a amené ici, qui me permet de mettre de côté la crasse de nos existences baclées et défaites. Nous sommes des soldats et j'ai envie de t'aider, envie de t'aimer comme tu le mérites. 


mercredi 1 janvier 2014

Un mental de tigre du bengale




Ici commence la partie ou ça déconne complètement.
On ne comprend plus rien de ce qui se passe.
Mais on continue à faire des choses.
Se débattre contre le spleen.
Contre nous mêmes.

Se laisser diluer dans la magnificence du chaos environnant.
Marcher toute la journée à perte.
Tourner à vide.

On fait saigner ce qu'en nous on a de plus beau.
Une pensée salutaire, un murmure soucieux.
Ce train emmène ce qu'il reste d'espoir,
Loin du chagrin qui règne ici en maitre.
Loin des débris, des erreurs.

La tristesse tente de reprendre le monopole de nos vies.
Elle s'éveille au contact entre deux âmes blessées.
Jaillit des cicatrices et détruit tout.
Inhumaine.

L'espérance laissée pour morte.
Sur une route déserte.
L'enfance rouée de coups.

Renaitre.
Fuir le doute.
Planter des étoiles dans les yeux des gosses.
Trouver un déroulement alternatif au plan initial.
Se sauver.

Se remettre de tout.
Toujours prêts à la riposte.
Les griffes acérées.
Le regard fier.

La solitude deviendra le seul amour possible.
Dans un mutisme absolu.
La peur du ciel.

Un mental de tigre du bengale.