"L'apparence n'est rien, c'est au fond du coeur qu'est la plaie" Euripide

samedi 7 octobre 2017

Lâcher prise



"Après, si il faut que tu le fasses tu le feras. Tu me raconteras ce que ça fait, d'avoir lâché prise."

Tu voulais que je te raconte ce que ça fait de lâcher prise, enfin, disons le, de baisser les bras, d'abandonner. Il me serait difficile de te regarder dans les yeux et de te dire tout ça.
J'ai fumé, pour la première fois depuis 6 mois.
Je n'essaierai pas de te dire que je regrette. Je ne dirai pas non plus que c'était la bonne chose à faire.

Je veux seulement raconter.

La sensation est physique. Je suis engourdie, ralentie, légère. Je suis soulagée. Mon sens du toucher est sur-développé. Ma vue se trouble et mon ouïe devient sélective. Je n'entends plus les autres, ni le reste. Mes déplacements sont lents et réfléchis. Je suis seule au milieu des autres.

Sais tu qui sont ces autres ? Moi non plus. Je vis au milieu d'inconnus. Ne connais pas mon propre visage, qui change tous les jours.

Tout est doux et tranchant.

Je suis absente et mille fois plus présente.

Je ne rigole pas mais j'ai le sentiment de tout comprendre.

Et je t'écris; sur le papier mon stylo est épileptique. Tu ne pourras jamais voir ça de tes yeux, cette envie énorme de tout, Tout raconter. J'écris pour la première fois depuis six mois.

Ce pet, c'était la chose la plus rassurante que j'ai vécu pendant ces six mois. D'une certaine manière, ça m'a confirmé que j'avais bien fait d'arrêter.

Quand je suis partie, personne ne m'a dit au revoir. J'étais invisible. Comme avant d'arrêter de fumer. Comme après.

Ce pet m'a conforté dans l'idée que je n'étais juste pas à la bonne place. Je ne me sens pas bien. Mais ce n'est pas du à une substance chimique ou à une position géographique.

C'est quelque chose en moi qui est cassé.

Et il convient vivement de le réparer.



samedi 24 juin 2017

Ma putain de carte Pastel





Hier j'ai retrouvé ma carte Pastel. Ca faisait un an que je la cherchais, pour prendre les transports à Toulouse, ma putain de carte Pastel. J'ai du en payer des tickets de métro parce que je ne la trouvais pas et que j'avais la flemme d'en refaire une. J'avais abandonné mes recherches depuis un certain temps, je ne m'y attendais plus, je pensais que c'était fini, ça m'a fait un choc de la voir, petit carton bleu dans un étui plastique épais, avec une photo dessus, une photo de ma tête d'il y a trois ans, quand j'ai fait faire ma carte Pastel.
C'est en cherchant autre chose, car c'est toujours comme cela que les histoires commencent que je l'ai trouvée tout au fond d'un grand tiroir à Versailles, avec plein d'autres choses que j'avais oubliée depuis longtemps également. Il y avait dans ce tiroir une dizaine de dossiers de toutes les couleurs avec écrit en gros dessus « Important » et que je n'avais pas touché depuis des années. Je ne me souviens plus ce qui peut être si important dans ces dossiers. Il y avait aussi du maquillage, je pensais que j'avais tout jeté ; depuis le temps. Des mots d'anniversaire de ma grand mère, des dessins d'enfants, des vieux contrats de travail, des cartes de Barcelone, de Sanary-sur-Mer, de Rome. Des brochures d'endroits ou j'aurais voulu mais ou finalement j'ai jamais foutu les pieds. Des feutres fins et des Posca, de quand je passais mes journées à dessiner. Et tout un tas de conneries dont je ne savais pas vraiment quoi faire mais que je n'avais pas voulu jeter : des pierres de volcans, des sachets de thé, des crins de cheval, des autocollants, des bouts de papiers...
Qui a mis tout ça dedans ? Est ce que c'est moi qui ai tout entassé et fermé le tiroir très vite, pour cacher ma carte Pastel en dessous et ne jamais me rappeler ou elle était ? Est ce que c'est ma grand mère qui a voulu m'aider à ranger et qui s'est un peu plantée ? Est ce juste le temps qui s'est chargé de réunir tous ces objets dont je suis le seul lien, de les mélanger et de les vider de sens ?

J'aurais pu t'appeler avec un accent de triomphe dans la voix pour te dire que ça y est j'avais retrouvé ma putain de carte Pastel et que j'allais à nouveau pouvoir prendre le bus pour quedalle, mais je l'ai pas fait. J'avais pas envie de t'appeler et puis je me sentais pas du tout triomphante. Je me sentais triste, dans les roses, avec le sentiment d'avoir encore raté quelque chose. Avec ma putain de carte Pastel dans la main et une grosse boule dans la gorge je me demandais pourquoi j'étais à Versailles, parce que ma carte Pastel ne me servait strictement à rien ici, à part à craner devant les gens et à dire « ouais moi j'ai une carte Pastel » mais à Versailles les gens s'en foutent, ils ne savent même pas ce que c'est. Je me suis demandée quand est ce que j'allais pouvoir rentrer à Toulouse pour m'en servir de ma putain de carte Pastel, et je n'ai pas trouvé de réponse, ça m'a donné envie de pleurer. Je me suis dit que c'était bien la peine d'avoir une carte Pastel si c'était pour ne pas s'en servir quand on en avait besoin, et de la retrouver une fois qu'elle était complètement inutile.

Je me suis rendu compte qu'avoir une carte Pastel soulevait beaucoup de questions auxquelles je n'aurais jamais pensé et était accompagné d'un sentiment de peur très vif. Cette peur, que j'avais cru vaincue, piétinée, écrasée, détruite par la force de mon intelligence et de mon courage, la peur de perdre, la peur d'être seule, la peur d'échouer, la peur d'avoir tort, la peur de souffrir, la peur d'être malheureuse, la peur, quoi, et bien cette peur n'avait jamais disparue. La peur était depuis tout ce temps cachée dans le fond d'un tiroir à Versailles à côté de ma putain de carte Pastel. 



dimanche 28 mai 2017

Fils de connard

Fils de connard.
Je ne sais pas trop ce que je ressens. J'ai l'impression que mon sang a cessé de couler à travers mes veines, que mon coeur a cessé de pomper un instant. Je descend de la voiture, je lache "bonne journée", je prends mon sac à dos et je claque la porte.
Gros fils de connard.
Quand la main s'est posée sur le haut de ma cuisse, la réaction a été épidermique. J'ai pris la main et je l'ai balancée loin de moi. La main est revenue. J'ai gueulé "non!".
Le propriétaire de la main a dit : "allez quoi ! on peut s'envoyer en l'air."
Je suis complètement incrédule. Je ne peux pas croire que ça se passe comme ça, que c'est en train de se passer.
J'ai répété : "non", plus fort. J'ai joint mes mains et les ai posé sur mes genoux.
"Mais ça va, allez, on est bien, j'ai envie moi. T'es bonne."
Je ne bouge pas, je ne dis rien, mais tout mon corps est en alerte.
"Pff ok, mais bon faut me comprendre, c'est tentant. Faut pas se vexer pour ça hein. "
Fils de connard.
"C'est tentant quand même."

Je sors de la voiture.
J'ai rien putain.
J'ai rien, j'ai rien, j'ai rien. Il ne m'a rien fait.
Mon sang recommence à traverser mon corps par à-coups.

Mille pensées me viennent. Qu'est ce que j'aurais du faire ? Je ne l'ai pas insulté. Je ne pense pas que ça aurait changé les choses. Je n'ai pas essayé de lui faire la leçon. Je pense que quand on a cinquante balais passé on SAIT que ce n'est pas une chose à faire de toucher une fille sans lui demander quand vous êtes tous les deux seuls dans une voiture qui roule à 90 km/h. Je pense que tout le monde le sait en fait. C'est juste qu'il s'en fout, c'est pas possible autrement. Je ne vais pas essayer de l'éduquer, de lui expliquer pourquoi c'est mal. Je ne lui ai pas dit ce que je ressentais. Je ne lui ai pas dit que je me sentais humiliée, incomprise et en danger. Je n'ai pas fait un scandale, je n'ai pas crié, J'étais en colère, mais surtout j'avais peur.
 J'ai juste dit non. J'ai été claire. J'ai gardé mon calme, j'ai dit non et je suis sortie de la voiture dés que j'ai pu. Qu'est ce que j'aurais du faire ? A mes yeux, après avoir revécu cette scène de nombreuses fois dans ma tête, je ne vois pas. Et pourtant j'aurais voulu faire plus. Ne pas laisser passer. Ne pas être silencieuse. J'ai crains pour ma sécurité, j'ai eu peur d'envenimer les choses.
Je n'ai rien dit. Je n'ai pas demandé ce qu'il se passait dans la tête de cette personne pour croire que j'avais envie de coucher avec un mec qui a l'age de mon père que j'avais rencontré cinq minutes plus tôt sur la nationale entre Rodez et Albi. Je n'ai pas demandé qu'est ce qui avait pu lui mettre l'idée en tête que toucher comme ça le corps d'une fille à laquelle on a dit trois mots dans une voiture qui roule à toute vitesse c'était bien.
Je ne lui ai pas envoyé une grande gifle dans sa sale gueule de fils de connard.
Qu'est ce que j'aurais du faire ?

Et puis : qu'est ce qui se serait passé si il avait insisté ?


J'ai repensé à tous les gens qui disent que le féminisme en France c'est abusé, que la condition de la femme va très bien et que faut pas déconner. J'ai pensé qu'on vivait dans un pays, dans un monde ou on pouvait toucher une fille dans une situation de faiblesse démesurée et qu'il ne se passerait rien parce qu'il ne pouvait rien se passer. J'ai pensé que beaucoup d'hommes ne ressentirais jamais la peur physique et intense de sentir un autre corps rentrer dans le sien de force.

J'ai pensé que j'avais beaucoup de chance.
Et que j'étais terrifiée.







lundi 15 mai 2017

Partager le silence





"Et vivre à la belle étoile avec la femme que l'on aime est de toutes les vies la plus totale et la plus libre." Stevenson 

 Dans les rues froides, c'est l'hiver, non c'est le mois de mai, et qu'importe après tout ? si la vie n'est qu'un enchaînement de jours sans toi, si les seuls à me juger seront des dieux qui n'existent pas. Je ne t'en veux pas pour ton silence, je ne t'en veux pour rien. Le silence c'est ne pas laisser les mots tout détruire et à la fois c'est se convaincre soi même. Etre seule, écouter le silence, ça m'a terrifié pendant longtemps, aujourd'hui c'est une nécessité. J'ai besoin d'être seule comme j'ai besoin de dormir. Mais ce que je voulais t'expliquer, c'est qu'on pouvait partager le silence. Est ce que je m'accroche à une vieille idée ? Je te propose de partager le silence avec moi.

Je veux réussir à décrire ce sentiment avec des mots exacts, précis, être capable d'expliquer ce qui se passe à la respiration près. Partager ce sanglot de bonheur, qui roule à l'intérieur de mon ventre la pointe de sel qui me transperce l'oeil, la canine qui cloue le coin mes lèvres dans un vif entêtement. C'est plus fort que tellement de choses, c'est tellement fort que si on m'avait dit que ça existait, j'aurais rigolé, ou je me serais mise à pleurer, ou à insulter mon interlocuteur. C'est un bruit sourd à l'arrière de la nuque, point de départ de la moindre de mes sensations, un bruit sourd obsédant et toujours présent. C'est mes tatouages sur les poignets, l'aiguille qui raconte, sans les mots, juste tout le reste, absolument tout. Le silence que je te propose, c'est la vérité la plus précise du monde, de celle qui ne se trahit pas. Un silence qui dénoue, pose tout à plat et donne du sens, explique, ne juge pas. Un silence qui est aussi grand que combien l'on est capable d'aimer.

Partager ce silence, avec toi, qui connait la part de moi que j'élude par peur de la rencontrer au détour d'un chemin, qui respecte le moindre de mes mouvements au point de me voir disparaître par instants, c'est atteindre la forme de solitude la plus parfaite qui soit; seule avec toi c'est être seule avec moi en entier.





jeudi 30 mars 2017

Marcher



J'ai l'impression que si je m'arrête de marcher, je vais crever instantanément. Marcher, pour rien, vers rien, marcher comme ça, sans s'arrêter, sans regarder les paysages, forcer mon corps à m'obéir et m'émouvoir de tout ce que celui ci est capable d'accomplir alors que mon âme ploie sous la tristesse et l'incertitude. Impossible de savoir ce que je veux faire, impossible d'avoir la conviction que la décision horrible que je prends aujourd'hui me permettra de construire un meilleur demain. Chaque pas, par contre, chaque putain de pas est ardemment désiré, c'est moi qui décide, un pied devant l'autre et voilà, je marche, et l'air de rien, j'avance vers ce lendemain résolument, puisque, de toute façon, il n'y a pas le choix. Marcher, bien sur, c'est pas forcément avancer, mais c'est mieux que rien, mieux que rester là, à regarder ce que j'ai construit de mes mains pourrir et me tomber dessus, me fracturer le crane. Alors, je marcherai, aujourd'hui, demain, jusqu'à en avoir mal aux genoux, jusqu'à ce que mes pieds saignent, jusqu'à être capable de ne pas crever si je m'arrête.






lundi 13 mars 2017

Les murs blancs




J'ai balayé mon passé en ouvrant cette porte et en tombant nez à nez avec ces murs blancs. J'ai compris que les lieux aussi s'attachent aux personnes et qu'il ne faut pas les laisser seuls trop longtemps, mais c'était trop tard car j'avais juste ces murs blancs devant moi. Pendant quelques minutes j'ai eu beaucoup de mal à retrouver mes esprits. A comprendre qu'il n'y avait plus aucun lieu au monde que je pouvais appeler "chez moi". Que les murs que je considérais comme tels avaient fait le choix du vide et que je ne pouvais pas leur en vouloir, déjà parce que j'avais décidé de ne plus jamais en vouloir à personne, et ensuite parce que je comprenais le besoin de vide. C'est comme ça qu'on essaie d'oublier l'absence, supprimant tout ce qui rappelle la présence. Les murs blancs, ce n'est plus mon absence, c'est l'absence tout court.
Je suis revenue pour retrouver cet endroit, et je ne le retrouverai plus jamais. Je ne suis pas triste car j'ai aussi décidé de ne plus jamais être triste. Je me sens extrêmement libre au point que c'en est presque indécent. Je ne peux pas vivre entre des murs blancs. Je ne peux pas vivre dans l'oubli de mon absence. Maintenant que je ne vis plus ici, je peux vivre partout. Je vis de toute ma présence, peu importe ou je suis, peu importe le blanc des murs, je me souviens de tout.