"L'apparence n'est rien, c'est au fond du coeur qu'est la plaie" Euripide

vendredi 27 mai 2016

Le héron de Amsterdam





Amsterdam. Il fait nuit et je suis seule. Une redescente d'une violence vibrante et agréable d'un tout premier trip aux psychédéliques me ramène dans un monde monstrueusement vide et plein en même temps. Les lampadaires immenses reflètent leur lueur sur les canaux tellement paisibles qu'on pourrait croire des miroirs. Je décide de marcher jusqu'à comprendre quelque chose.
Chaque pas sensé me ramener à moi même par la force des choses et de l'habitude ne fait que m'éloigner physiquement de chez moi. J'ai marché pendant plus d'une heure, les sens en veille, et me suis arrêté en me rendant compte que j'étais déjà très loin et que je ne pouvais pas espérer de mon corps qu'il continue sa route et revienne sur ses pas plus tard. J'étais sur un grand quai, d'une géométrie exemplaire, qui donnait sur la mer. J'avais peur mais je ne savais pas de quoi, comme ça m'arrivait souvent à cette période là, quand je n'avais pas encore compris que les choses les plus sombres qui me terrifiaient étaient profondément ancrées en moi même. Et sur ce quai gigantesque ou ne se trouvait pas un seul bateau ou âme, j'ai été frappée par ce grand lieu commun qu'est l'absence totale de sens. Tout était plus que jamais désespérément vide et plein.

J'ai pris le chemin du retour, ma peur sous le bras, les jambes alertes mais un peu fébriles. Les méninges crispés toujours dans cette même volonté de comprendre qui n'aboutit pas.

Je me rappelle avoir écouté High Voltage Queen sur la fin du trajet et y avoir pris un pied absolument incroyable que seuls peuvent comprendre ceux qui ont vécu l'association virulente de drogue et de musique, capable de remuer, indomptable, tout ce qu'on a soigneusement enfoui dans les tréfonds de notre inconscient depuis si longtemps. Jamais les tremblements de cette chanson ne cesseront de parcourir ma peau, comme l'application ferme d'une loi juste. Jamais je n'oublierai la rue déserte et droite qui menait jusqu'au terrain de basket devant la péniche ou nous habitions depuis quelques jours. Tout transpirait une sérénité absolue dont je m'imprégnais sans tenter de le faire, la musique obsédante s'occupait de tout, il n'y avait plus besoin de réfléchir. Tout allait bien.

J'ai grimpé sur le pont de la péniche et suis tombée nez à nez avec un héron qui avait l'air habitué des lieux. On s'est regardés pendant quelques temps, parfaitement calmes, lui lissant ses plumes et vaquant à ses activités d'oiseau, et moi roulant un joint, nous faisions partie du même monde, on ne se dérangeait pas, silencieux. Au petit jour, je suis allée réveiller L. pour partager avec lui la douceur de cet univers que je découvrais petit à petit, qui cependant avait probablement toujours été là. Nous nous sommes installés sur le pont, enlacés. Le héron était parti.

J'étais à ce moment là, lovée dans la chaleur humaine après des heures de pèlerinage solitaire, recrachant une fumée de la même couleur que mes songes, très proche d'une forme d'amour considérée comme pur, incroyablement vide et incroyablement pleine.